L’illusion de maîtrise : ce que l’IA est en train de faire à notre société

Nous sommes en mai 2025 et une révolution silencieuse est en train de se produire depuis plusieurs mois déjà.

L’intelligence artificielle générative – ChatGPT en tête – s’est installée dans le quotidien de millions de Français. On pourrait s’en réjouir : la technologie se démocratise, l’innovation se diffuse.

Mais en réalité, le véritable bouleversement est ailleurs.

Il se joue dans le fossé qui se creuse. J’en ai déjà parlé dans un post, il y a quelques semaines, néanmoins une discussion récente m’a fait prendre conscience que le fossé s’est depuis encore plus creusé et pas forcément là où je l’avais envisagé précédemment.

Ces discussions m’ont fait prendre conscience qu’il faut bien plus que les 3000 caractères d’un post pour avoir l’impact pédagogique nécéssaire. D’où l’idée de faire un article régulier et finalement d’aboutir à cette idée de rendez-vous bi-mensuel sous forme de newsletter LinkedIn.

Et donc pour en revenir à notre sujet, ce fossé qui se creuse n’est plus seulement entre ceux qui ont accès à la technologie et ceux qui ne l’ont pas, mais aussi entre ceux qui pensent comprendre l’IA… et ceux qui la comprennent vraiment.

Un usage massif… en surface seulement

Les chiffres sont spectaculaires.

D’après le baromètre Ipsos-CESI (février 2025), 45 % des Français utilisent aujourd’hui une IA générative comme ChatGPT, Copilot ou Midjourney. Ce taux monte même à 74 % chez les 18-24 ans.

De son côté, l’étude Ifop-Talan (mars 2025) confirme la tendance : l’usage est en forte croissance, avec +13 points par rapport à fin 2024.

Mais quand on regarde ce que font les utilisateurs avec ces IA, l’écart est flagrant. Toujours selon Ipsos, 72 % des utilisateurs se limitent à ChatGPT. Gemini, Copilot ou Mistral sont très loin derrière.

Et surtout, selon Ifop, 46 % des utilisateurs copient les réponses de l’IA telles quelles, sans les vérifier ni les adapter.

En clair :

  • L’usage devient massif,
  • Mais il reste ultra-superficiel.

Une illusion de compétence généralisée

Ce phénomène est encore plus frappant quand on interroge la perception que les gens ont de leur propre compétence. Je l’ai fait avec des groupes en formation, et le résultat est frappant et les études confirment ce que j’ai pu observer :

Dans l’étude Ipsos, seulement 37 % des utilisateurs estiment ne pas avoir les connaissances suffisantes pour bien utiliser ces outils. Donc près de 2/3 pensent être “compétents”.

Mais lorsqu’on analyse leurs pratiques, on observe qu’ils :

  • Ne savent pas construire un prompt structuré
  • Ne comprennent pas la mémoire, le contexte, les instructions système
  • Ignorent tout des plugins, des API, des agents, des modèles open source
  • Se fient aveuglément aux réponses produites

Ce que ces chiffres montrent, c’est une illusion massive de maîtrise. Les gens utilisent l’IA, donc ils pensent comprendre l’IA. Et c’est exactement là que réside le problème.

Deux mondes qui s’éloignent

Pendant que la majorité explore ChatGPT comme un moteur de recherche intelligent ou un assistant de rédaction, une autre frange d’utilisateurs creuse en profondeur.

Ceux-là ne se contentent pas de “jouer” avec un chatbot. Ils orchestrent. Ils explorent la couche invisible de l’IA.

Voici des exemples de ce que ces power users manipulent au quotidien et la liste est non exhaustive :

  • ComfyUI : une interface nodale que j’utilise à titre personnel pour la génération d’images avec Stable Diffusion XL ou DynavisionXL. Elle permet de concevoir chaque étape du pipeline visuel : prompts, modèles, conditions, filtres. C’est du design algorithmique, loin du “/imagine” de Midjourney.
  • LM Studio : des solutions comme LM Studio qui permet à n’importe qui d’exécuter un modèle IA localement, sans connexion internet. Installer un modèle OpenSource sur son ordinateur devient possible, avec une interface simple. L’utilisateur devient hébergeur de sa propre IA.
  • Hugging Face : la plateforme de référence pour télécharger, comparer, entraîner ou utiliser des modèles en open source. C’est la forge de l’IA mondiale, inconnue de 90 % des utilisateurs qui croient que “l’IA, c’est ChatGPT”.
  • Make.com : une plateforme d’automatisation no-code qui permet de connecter des IA à des applications tierces, d’automatiser des flux métier complexes (extraction de données, génération de contenu, notifications intelligentes). C’est l’usine invisible derrière les intégrations productives.
  • n8n : un outil d’automatisation open source, plus technique, qui permet de construire des workflows puissants et hébergés localement. Grâce à lui, l’IA devient un maillon d’une chaîne de traitement métier personnalisée, robuste et maîtrisée.
Tous ces outils ont un point commun : ils échappent complètement au radar du grand public.

Ils demandent une compréhension technique, une logique d’ingénierie, parfois un peu de code. Mais ils ouvrent un champ de possibilités qu’aucune interface “chat” ne permet.

Ce n’est plus du “prompting”. C’est de la conception. De l’architecture. Du développement.

Et c’est ce qui permet à certains d’avancer cent fois plus vite que les autres.

Une fracture cognitive, fonctionnelle, invisible

Ce fossé entre utilisateurs naïfs et utilisateurs experts est en train de devenir la nouvelle fracture numérique. Pas celle qu’on a connue dans les années 1990-2000, entre ceux qui avaient un ordinateur et ceux qui n’en avaient pas, ceux qui avaient internet et qui n’en avait pas.

Mais une fracture cognitive : entre ceux qui comprennent les concepts-clés (modèles, architecture, biais, hallucinations…) et ceux qui ne perçoivent que la surface.

Une fracture fonctionnelle : entre ceux qui utilisent l’IA pour répondre à une question, et ceux qui l’utilisent pour transformer leur travail ou leur entreprise.

Une fracture invisible, car la majorité croit être “dans le train” alors qu’ils sont sur le quai.

Et cette fracture, plusieurs acteurs l’ont déjà identifiée comme un risque majeur :

« Sans effort massif de formation et d’acculturation, l’IA générative risque de creuser les inégalités et de concentrer ses bénéfices sur une minorité d’initiés. » — CESE, février 2025
« On observe le même schéma que la fracture numérique des années 2000. Mais cette fois, c’est plus pernicieux, car les gens ont l’impression d’y être. » — Anthony Babkine, Diversidays

Conclusion

Je ne me considère pas comme un expert de l’IA, les vrais experts sont ceux qui construisent les IA de demain, mais j’ai une vision technique 360° de la tech. Mais j’utilise des IAs (ou mes IAs) au quotidien, de manière profonde, intégrée, dans des projets réels. Et ce que je vois me questionne avec un sentiment :

Un fossé énorme est en train de se creuser. Et il est tellement silencieux qu’il sera bientôt impossible de le combler.

Si tu penses que “maîtriser l’IA”, c’est poser une question à ChatGPT et copier-coller la réponse… Tu es déjà en train de décrocher. Et tu ne le sais même pas.

  • L’IA est partout, mais l’usage avancé reste rare.
  • L’illusion de compétence est généralisée.
  • Une fracture invisible s’installe entre “joueurs” et “concepteurs”.

Ce post n’est pas là pour juger. Il est là pour alerter, faire prendre conscience que le véritable enjeu de l’IA est d’abord un sujet de formation, de pédagogie et de maîtrise.

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